L'Icône by Thierry Marignac

Auteur:Thierry Marignac [Marignac, Thierry]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9791037500076
Google: HR-tDwAAQBAJ
Éditeur: Les Arènes
Publié: 2019-09-02T22:00:00+00:00

* * *

1. Trafiquant de marchandises occidentales et de devises, à l’époque de l’URSS (néologisme dérivé de l’expression anglaise for sale).

2. Troisième vague de l’émigration russe, dans les années 1970, après celles qui avaient suivi la Première et la Seconde Guerre mondiale.

3

Brooklyn, années 2010

Irina des HLM n’avait pas téléphoné le lundi suivant à Sheepshead Bay, ce qui avait scandalisé cette femme, mais pas surpris le Conseiller. Au repas du soir, il n’avait été question que de ça.

– Tu te rends compte ?… Quand j’ai appelé à son bureau, elle était partie en croisière en Jamaïque pour dix jours. Ah, elle était un peu là, et comment, pour te coller sur un slow, mais elle n’a rien dit sur ses vacances. Salope.

– Elle t’appellera en rentrant, peut-être. Et puis, on n’est pas si mal ici… Ces cités HLM, c’est bruyant, plein de monde…

– Tu n’as pas envie d’avoir plus de place, pour sortir tes bouquins et tes affaires du garde-meuble ?… Les HLM gérés par Irina sont des bâtiments de pierre de taille, dit-elle comme si c’était la preuve de quelque chose.

– Cet immeuble aussi est en pierre de taille…

– Oui, mais là-bas, on n’admet pas n’importe qui, pas de familles nombreuses tadjikes qui braillent du matin au soir, pas la queue d’un Noir ni d’un Portoricain et leur marmaille et leur bordel, des locataires triés sur le volet. Je veux la buanderie en bas de l’immeuble, les jardins qui servent de cour intérieure. Dès qu’on sort de chez soi, là-bas, on est sur la plage, on a vue sur la mer du salon. Il y a le chauffage central, je ne passerai plus ma vie à payer les yeux de la tête pour ces radiateurs électriques…

– Et tu pourrais faire venir ton fils, non, si tu avais une chambre de plus ?… C’est ça ?

Cette femme acquiesça, la lassitude et l’usure caractéristiques chez elle incisaient de nouvelles rides, plus profondes encore, sous les yeux, au front, à la commissure des lèvres, dans ce qui avait été un beau visage de madone, tel qu’il s’affichait sur les photos au cadre doré prises dans la mère patrie à l’époque de son mariage, dans les années 1980. En son absence, le Conseiller contemplait souvent ces portraits noir et blanc dressés sur la coiffeuse, en face de leur lit, scrutant la jeune femme qu’elle avait été, dans un autre monde, avec un autre homme.

Cette femme avait un fils de dix-huit ans, en train de mal tourner, aux lisières de la Ville Noire, au nord de Manhattan, là où le Conseiller l’avait rencontrée, un an et demi auparavant. Dans les premiers émois d’une passion neuve, elle si longtemps privée d’homme, et pour ne pas perdre le Conseiller dont elle s’était éprise, elle avait laissé le petit studio insalubre à ce fils remuant et mal embouché, déjà adulte. Elle était désireuse d’aimer le Conseiller à son aise, loin d’un regard filial qui la dérangeait. Pourtant, ce fils aux allures de gouape ne passait au studio qu’en de rares occasions, pour manger, dormir, réclamer un peu d’argent.

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